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EXTRAITS:
...
– Tiens lis cette lettre !
À peine a-t-il franchi la porte qu’elle lui tend avec brusquerie une feuille de papier.
– Mettre bout à bout mes pensées me donne du mal et prend du temps. Alors je t’ai écrit.
Je me sens incapable de définir la relation qui nous réunit. Elle ressemble à un mauvais feuilleton qui pourrait s’appeler « L’intello et le boulanger ». Ou bien, si j’avais envie de jouer avec les mots, donner le titre d’une fable : « La dame aux livres et l’homme au pétrin ». Ou bien encore un « remake » provincial de « L’amant de Lady of the books ! » Nul ne pouvait penser en tout cas que nous pourrions entretenir un rapport charnel suite à des discussions sur la philosophie. Diotime considérait qu’une escalade érotique faisait passer de l’amour d’un beau corps à l’amour de la connaissance. Dans notre cas, c’est le contraire qui s’est produit puisque nous nous sommes connus par curiosité, par besoin d’explications. Le désir est souvent au banc des accusés. Il n’apporterait que dérèglement, conduirait au toujours-plus. Il est pour moi préférable à la raison qui n’apporte qu’ennui. J’y ai trouvé une joie que je n’avais pas connue depuis longtemps. Mais mon état se dégrade, mon caractère se modifie. Mon humeur peut changer rapidement. Tu t’en es aperçu. Je passe du rire aux pleurs, de la tristesse à la colère, sans raison. Je dois faire des efforts démesurés pour me livrer aux activités de la vie quotidienne. Je fatigue pour écrire cette lettre parce qu’il me manque souvent le mot juste. Et ma concentration devient éphémère. La fringale sexuelle qui m’animait a disparu. La jouissance me fait même peur comme si elle contribuait à me disperser, à faire éclater des morceaux de mon corps que je n’arriverai plus à recoller. J’ai aimé t’aimer. J’ai aimé les moments où je jouais Pygmalion pour te donner le goût de la lecture. Où tu m’as convaincu d’abandonner ce désespoir qui m’amenait à me séparer de mes livres avant de devenir une page blanche.
Mais aujourd’hui, je sais que je suis entrée sur le chemin de ma descente aux enfers. Et je ne veux pas connaître le déclin, ni devenir un légume sans autonomie. Je vais te demander de m’aider à mourir maintenant. Je laisserai mes volontés pour te dédouaner de problèmes avec la justice. Je sais que c’est une décision grave, insoutenable peut-être pour toi. Mais ce serait le témoignage de ton amitié. « Le désespoir n’est pas la perte de l’être aimé (qui est malheur, douleur, souffrance), il est l’absence de l’éternel ». C’est une phrase de Kierkegaard, dans « Vie et règne de l’amour ».
... Ils se sont endormis enlacés dans le présent, sans passé et sans avenir. Au réveil, elle a dit :
– Comment tu t’appelles ?
Sylvain s’est levé. Il est allé jusqu’à la fenêtre. Une épaisse couche de ouate camouflait la rue.
Sa décision était prise.
... Des portes claquent. D’autres grincent. Des serrures frappent les trois coups de l’enfermement. Des cris et des jurons fusent de loin en loin et se répondent en écho.
Énorme caisse de résonance dans la journée, la prison absorbe au crépuscule les derniers bruits. Un brouillard de silence le recouvre enfin.
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