En quête de solutions pour le grand âge
La consultation nationale qui s’ouvre mardi 4 janvier va devoir proposer des solutions pour les personnes vieillissantes. « La Croix » rend compte
de trois expériences originales
Une « maison intelligente » pour gérer la dépendance à Colmar
Un médecin alsacien a créé une association qui commercialise des systèmes améliorant le confort et la sécurité des personnes dépendantes
D’une simple pression sur la télécommande, les volets s’ouvrent, les lumières des pièces programmées s’allument, la radio se met en marche et le chauffage monte. Quelqu’un sonne à la porte ? Le visiophone mobile, via une tablette numérique, permet de l’identifier.
Besoin d’un plateau-repas pour le lendemain ? La commande se fait directement sur le téléviseur, par télécommande, et la photo du livreur apparaît quelques instants avant son arrivée.
Besoin d’une veille contre les chutes et autres accidents domestiques ? Des capteurs de présence installés dans toutes les pièces repèrent les absences de mouvement anormales, les stations immobiles au-dessous d’une certaine hauteur. Des capteurs de fumée reliés au tableau électrique commandent l’extinction automatique des plaques, etc.
Il les teste au sous-sol de sa maison
La « domotique » – ensemble des technologies permettant de superviser, d’automatiser, de programmer les tâches de confort, de sécurité, de maintenance dans l’habitat – ouvre des perspectives immenses pour le maintien à domicile. Toutes ces innovations, le docteur Claude Deroussent, médecin de campagne près de Colmar, urgentiste et gériatre de formation, les teste au sous-sol de sa maison, à Muntzenheim, où, à côté de son cabinet, il a aménagé son garage en appartement-laboratoire.
« Les maisons de retraite, c’est un pis-aller. Presque tous veulent l’éviter », constate-t-il. En 2004, il crée avec des architectes, des médecins, des psychologues, des ergonomes et des informaticiens l’association Médetic, pour « Médecine et technologies de l’information et de la communication ». Ensemble, ils proposent aux résidences seniors et aux particuliers des systèmes permettant de rester chez soi, même avec un certain degré de dépendance.
« Trop souvent, ces types de projets n’envisagent que des téléalarmes. Seules, elles ne suffisent pas et, dans 90 % des cas, ne sont pas utilisées ou sont inutilisables au moment où elles seraient vraiment utiles. Nous avons une approche transversale dans laquelle l’architecture, les nouvelles technologies et la gestion des services fonctionnent ensemble », poursuit-il.
La démarche intéresse vivement les mairies
L’association propose aussi une « surveillance » au quotidien des maladies chroniques, avec des machines d’autocontrôle de la tension par exemple, ou des habitudes de vie, pour repérer si la personne se lave de moins en moins ou se couche de plus en plus tôt, signes d’une « altération progressive de l’état général ». L’ordinateur peut alors lancer une alerte en cas de courbe inhabituelle. Médetic gère également la maintenance des systèmes, dont les centres d’appel.
La démarche intéresse vivement les mairies, promoteurs immobiliers et bailleurs sociaux. L’association, dont les bureaux sont installés à Colmar, compte aujourd’hui 15 salariés à temps complet. Elle a déjà été sollicitée pour une cinquantaine de projets de résidences neuves (la première ouvrira à Baltzenheim, en Alsace, à l’automne).
La formule a été testée chez 20 particuliers à qui elle sera proposée à la fin de l’année. L’association se donne pour objectif d’équiper 1 000 logements par an, la commercialisation devant être lancée cette année. Le « label » Médetic ne devrait être attribué qu’aux résidences à taille humaine et pratiquant des loyers raisonnables. L’abonnement aux services Médetic, comprenant la location du matériel, ne devrait pas excéder 60 € par mois pour une habitation individuell
A Saint-Rémy-lès-Chevreuse, « la vie continue » pour les personnes âgées
À Saint-Rémy-lès-Chevreuse, une résidence haut de gamme a imaginé des formules de prise en charge en un même lieu. Personnes âgées autonomes et dépendantes peuvent ainsi cohabiter
Elle ne voulait pas devenir « un fardeau » pour ses enfants. Après s’être occupée de ses propres parents pendant vingt-deux ans, Jeannine s’était dit que, le jour venu, elle entrerait en établissement. Ce jour-là est arrivé plus vite qu’elle ne l’aurait imaginé, il y a dix-sept ans, lorsque, avec son mari plus âgé, elle a choisi d’anticiper une possible dépendance. Le couple s’est alors installé en formule « résidence services » (non médicalisée) dans l’un des pavillons avec jardinet de la résidence Saint-Rémy, en lisière de forêt, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines).
Depuis, tout en restant dans ce T4 où elle reçoit régulièrement ses enfants et petits-enfants, elle est passée à une prise en charge de type Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).
« J’ai eu le temps de me faire des souvenirs avec mon mari, décédé cinq ans après notre arrivée. Et puis je sais que, quel que soit mon degré de dépendance, je pourrai rester ici jusqu’au bout », souligne Jeannine, aujourd’hui âgée de 82 ans.
Lumières douces, senteurs d’huiles essentielles
Occupée à gérer le placement des invités du jour dans l’un des trois restaurants où les résidents – ceux qui peuvent encore se déplacer, avec ou sans l’aide du personnel – prennent leurs repas, la vieille dame fait sienne la formule du groupe Orpea, qui gère cette résidence aux allures de village : « Ici, la vie continue. »
« Parallèlement au projet de soins, nous élaborons avec le résident et sa famille un projet de vie qui tient compte de sa personnalité, de ce qu’il aimait faire avant et de ce qu’il peut encore faire », explique Aurélien Cheuret, adjoint de direction. Parce que l’activité et le maintien des liens sociaux constituent un gage de longévité, d’innombrables activités sont proposées chaque jour, y compris à ceux qui ne peuvent pas s’éloigner de leur chambre.
Lumières douces, senteurs d’huiles essentielles, musique d’ambiance évoquant la forêt amazonienne. Dans le bâtiment réservé aux grands dépendants, Port-Royal, les résidents peuvent se relaxer tout en stimulant leurs cinq sens, selon la méthode Snoezelen, souvent utilisée avec les enfants handicapés.
Aquagym, bridge, bibliothèque, conférences, Wii
Pendant ce temps, dans le « secteur protégé », où sont accueillies les personnes souffrant de maladies dégénératives du cerveau, trois pensionnaires, pinceau et pot de colle en main, confectionnent une sculpture en carton, quand bien même l’une d’elles demande sans cesse « quel sens cela peut bien avoir ». « À elle seule, une telle question témoigne de l’intérêt que suscite cette activité », relève Martine Tulpan, qui anime l’atelier.
L’attention portée aux résidents trouve, tous les trois mois, un prolongement dans des rencontres destinées à leurs proches. « Souvent, les familles ont d’abord tenté de prendre en charge la personne à domicile, raconte le docteur Maria-Dolores Gomez. Elles culpabilisent à l’idée de l’avoir placée en établissement.
Il faut leur faire compren dre ce qu’est la dépendance et leur montrer qu’elles peuvent jouer un rôle essentiel, même si elles nous confient la gestion du quotidien. » Pour les y aider, on leur propose de passer une semaine de vacances en Normandie, avec une partie des résidents et des membres du personnel.
Aquagym, bridge, bibliothèque, conférences, Wii (console de jeu permettant notamment de travailler les capacités cognitives, ainsi que l’équilibre), atelier « Paroles et mémoire » au sein du « salon réminiscence » (dans un décor des années d’après-guerre, avec les journaux de l’époque et une télévision qui diffuse le mariage de la reine Elizabeth)… Chacun peut trouver de quoi occuper ses journées.
"Fuir la solitude"
« Moi qui n’avais jamais chanté, je participe désormais à la chorale », s’étonne Raymond, qui trouve « plus stimulant » d’habiter la résidence, près de sa femme atteinte d’Alzheimer, que de rester seul dans son « village dortoir ». « On m’a même proposé de donner des cours de peinture à d’autres résidents », raconte celui qui a déjà exposé ses tableaux sur son nouveau lieu de vie.
Dans son logement attenant à l’oratoire œcuménique dont il a la charge, le P. Patrice Olivaux, 84 ans, vit lui aussi une retraite active. « Me montrer présent et disponible, telle est ma raison d’être », assure-t-il. Si certains, comme Nicole, arrivée à 65 ans, s’installent précocement à Saint-Rémy pour « fuir la solitude », l’âge moyen des 320 résidents (aujourd’hui 87 ans) grimpe d’année en année, tout comme leur degré de dépendance.
« C’est pourquoi nous avons transformé un bâtiment en clinique gériatrique. Cela permet aussi d’éviter de multiples transferts, éprouvants, vers les hôpitaux de la région », note la directrice, Liliane Carzon. Principal bémol : les tarifs. Il faut compter 127 € par jour pour une chambre individuelle, 192 € pour un T4. Leur pension ne suffisant pas, la plupart des résidents ont vendu ou louent leur logement pour pouvoir rejoindre ce que certains appellent leur « deuxième famille ».
L'accueil familial, alternative à la maison de retraite en Seine-et-Marne
Ancienne infirmière de nuit, Joëlle Duval s’est reconvertie dans l’accueil familial pour conjuguer nécessités financières et « amour des rencontres »
Marcelle, ancienne antiquaire âgée de 90 ans, reçoit, en pantoufles, dans un confortable canapé. Pour la dernière partie de sa vie, elle a choisi l’accueil familial. « Je suis restée six mois en maison de retraite. La plupart des autres pensionnaires étaient atteints d’Alzheimer. Et il y avait tellement d’infirmières qu’on ne pouvait pas vraiment nouer une relation avec elles, explique-t-elle. Ici, on est un peu en famille. C’est bien plus humain. »
Après une première rencontre, suivie d’une deuxième pour signer le contrat, Marcelle a décidé, voilà un an, de poser ses valises aux Ormes-sur-Voulzie (Seine-et-Marne), chez Joëlle Duval, 52 ans. Elle vit aujourd’hui dans cette grande maison aux allures de ferme avec d’autres personnes âgées. Joëlle Duval et son mari habitent à l’étage.
En bas se trouvent les pièces communes, où l’on peut se retrouver autour d’un feu de cheminée, et les chambres des « accueillis ». Là, Marcelle s’est recréé un petit univers avec tous les objets qui lui sont chers. « C’était un déchirement de quitter ma maison, mon nid. Ces souvenirs me ramènent un peu dans mon monde », explique-t-elle.
"Ca leur coûte moins cher qu’une maison de retraite"
En face, la chambre de Renée, 87 ans. La vieille dame vient de finir sa période d’essai d’une durée d’un mois. C’est décidé, elle prolonge son contrat. « D’avoir quelqu’un qui veille comme ça sur nous, c’est génial », se rassure la pensionnaire, qui a l’impression, depuis quelque temps, de commencer à perdre un peu la tête. Une troisième résidente va les rejoindre à partir du 9 janvier.
Le principe de l’accueil familial est simple : des personnes âgées qui ne veulent plus ou ne peuvent plus rester chez elles s’installent, moyennant paiement, au domicile d’une personne ou d’un couple formés à cet effet et ayant reçu l’agrément du conseil général.
« Les personnes qui nous choisissent le font aussi parce que cela leur coûte moins cher qu’une maison de retraite, observe Joëlle Duval. Elles paient 2 000 € par mois, somme qui inclut le loyer, mon salaire et les frais d’entretien, au lieu de 3 000 € environ en établissement. »
L’accueil n’est pas toujours facile
Cette ancienne infirmière de nuit a choisi de faire ce métier pour conjuguer nécessités financières et, dit-elle, « amour des rencontres ». Pour Gisèle, 82 ans, qui a choisi de venir ici de façon temporaire – deux mois l’hiver, un mois l’été – pour échapper à la solitude, Joëlle Duval « vit vraiment son métier. Elle donne tout. »
Le rôle de l’accueillant ? Assurer à ses pensionnaires le gîte et le couvert, les aider à se vêtir ou à faire leur toilette, selon les besoins. Mais pas seulement. De fait, l’accueil n’est pas toujours facile. Joëlle, qui fait ce métier depuis cinq ans, se souvient de cette femme qui avait fait une tentative de suicide la veille du mariage de sa fille, d’une autre qui l’avait insultée devant toute sa famille le jour de Noël. L’état de santé de certains pensionnaires peut aussi s’aggraver. À ce moment-là, Joëlle Duval préfère passer la main aux établissements spécialisés.
Cette entreprise, qui peut représenter une alternative à la maison de retraite, a toutefois ses limites. Être accueillant familial demande un véritable équilibre dans sa vie personnelle, une disponibilité constante, une grande capacité d’écoute et d’attention. Qualités que tout le monde n’a pas. Les chiffres de Seine-et-Marne sont édifiants : de 90 accueillants familiaux en 2003, on n’en comptait plus que 68 en 2009.