Chef du service de médecine interne et gérontologie clinique à Maison-Blanche, le professeur François Blanchard aborde de front la notion de fin de vie, de souffrance et d'euthanasie.
Un point de vue humain mais sans la moindre concession.
Pour lui, c'est le patient qui doit décider, plus jamais le médecin, ni sa famille ou son référent.
l'union : Quelle est la maladie qui conduit le plus grand nombre de patients au sein d'un de vos services ?
Pr François Blanchard : « C'est sans conteste la maladie d'Alzheimer qui draine un maximum de malades au cœur de nos services.
On peut estimer à un peu moins de 20 % la proportion de malades atteints par cette maladie dans les unités du service.
Sur les 1 600 hospitalisations excédant les deux jours, sans compter les consultations et les admissions à l'hôpital de jour, ce sont à peu près 320 personnes qui sont touchées par cette maladie qui se retrouvent admises chez nous chaque année. »
Cette maladie est-elle en phase ascendante ?
« Effectivement, nous comptons beaucoup plus de cas d'Alzheimer qu'il y a une vingtaine d'années. À cela, il y a deux raisons avérées et une autre qui doit rester à l'état d'hypothèse en attendant le résultat de certaines études. C'est une maladie qui touche les personnes d'un certain âge et le terroir de Champagne-Ardenne et son exode massif de jeunes expliquent cet accroissement du phénomène. Une autre explication de cette croissance est la progression de la diagnostication de ce mal.
On sait beaucoup mieux détecter aujourd'hui la maladie. Et dernière raison qui reste, pour le moment à l'état d'hypothèse : la relation entre les secteurs géographiques et le développement de la maladie d'Alzheimer. En clair, plusieurs régions où l'environnement subit des agressions de produits polluants sont des zones de prévalence de la maladie. Cela a été observé, il s'agit désormais de se pencher beaucoup plus attentivement sur le sujet. Mais si des études sont effectuées, c'est bel et bien qu'il y a des éléments pour les étayer. »
Quels sont les changements notables dans les traitements des patients atteints par Alzheimer ?
« Les traitements peuvent aujourd'hui stabiliser et freiner l'évolution de la maladie pendant environ deux années. Mais il y a toujours des « déclineurs rapides », c'est-à-dire des patients réfractaires aux traitements. Ils sont entre 20 et 25 %.
Cependant des progrès sont faits autour du discours avec les malades.
Les médecins et les internes ne doivent plus tenter de les ramener dans notre monde mais c'est à nous, médecins et praticiens, à entrer dans le leur.
À Reims, nous avons la chance de bénéficier d'une unité spécifique pour les cas aigus. Il n'y en a que trois en France. À nous de la développer. Les équipes sont formées pour cela et elles font du bon travail. »
Plus question d'assommer les patients de médicaments donc ?
« Alzheimer induit des troubles du comportement. Mais ce n'est pas pour cela que nous allons abrutir les patients de médications.
Au contraire, en général, nous réglons le problème en une dizaine de jours en écoutant le patient sans le moindre traitement médicamenteux.
Cela prend du temps mais nous nous devons de rétablir une vie émotionnelle et de réhabiliter le patient.
Plus un praticien va exiger des choses, plus les troubles comportementaux vont se trouver accentués. »
Dans certains cas, vous vous retrouvez confrontés à la mort. Comment l'appréhende-t-on aujourd'hui ?
« Dans notre service, il y a environ 150 morts par an. Il est beaucoup plus facile d'accompagner un patient de 85 ans qu'une jeune personne vers la mort.
Mais à cela je constate que la perception des vieilles personnes a changé.
Avant, un vieillard était considéré comme un sage.
Aujourd'hui, on a l'image d'une personne qui coûte cher.
Mais à cela je réponds que la seule manière de vivre est de vieillir.
La vieillesse n'est plus l'expérience mais est le synonyme de la mort de nos jours. »
Les patients vous demandent-ils de mettre fin à leurs jours ?
« Cela arrive encore quelque fois tous les ans.
Mais il faut effectuer un distinguo entre les différents types de pathologies.
Les pathologies aiguës surprennent tout le monde, malades et familles. Ils n'ont pas le temps de s'y préparer. Il y a également les grands vieillards qui cumulent plusieurs maladies.
Puis il y a les cas de démence cumulée à d'autres maladies.
Et puis, il y a les maladies chroniques dont le sort est inéluctable.
C'est la plupart du temps dans ces cas-là que des demandes émergent.
Mais, elles n'émergent souvent pas du patient mais plutôt de la famille qui a peur de la souffrance de son être cher et de voir son apparence physique changer. »
Lorsqu'une famille ou un patient vous demande une euthanasie, que faites-vous ?
« Cela se passe en plusieurs temps. Il y a le temps de la chaise où le praticien se doit d'écouter les différentes motivations de la demande.
Au médecin d'adapter ses mots aux capacités de compréhension du patient.
Il faut également lui demander quelle est la représentation de sa mort et de sa maladie.
Dans un deuxième temps, il faudra être clair et dire « nous n'allons pas vous faire mourir ».
Nous sommes en capacité de combattre des souffrances avec des médecins spécialistes de la prise en charge de la douleur. »
Vous soignez donc le malade coûte que coûte ?
« Non, car nous lui précisons aussi que si nous n'allons pas le faire mourir, nous n'allons pas non plus l'accabler de médicaments.
Je suis contre les traitements d'obstination.
Dans tous les cas, nous indiquons bien aux malades que nous n'allons rien faire sans son accord.
Mais les thérapies agressives ne servent à rien si c'est pour faire dormir un malade en fin de vie et ne jamais qu'il se réveille.
Dans l'extrême majorité des cas, les malades ne souffrent pas, ce sont les familles qui ont peur. C'est le malade qui décide. »
Les évolutions juridiques de ces dix dernières années vont-elles dans le bon sens ?
« Il y a deux textes qui sont intéressants : la loi Kouchner de 2002 ainsi que le texte Léonetti de 2006.
Avec cette première loi, il est clairement indiqué que ce sont les malades eux-mêmes qui décident.
Ce n'est plus le médecin qui a le pouvoir et c'est une bonne chose.
La loi Kouchner a aussi permis aux malades de désigner un référent.
Une chose très intéressante pour les praticiens lorsque la communication avec le malade est rendue très difficile.
Autre texte important pour les praticiens, la loi Léonetti de 2006 permet aux patients de rédiger sur une note ses volontés.
Cette note est valable trois ans et cela permet aux malades d'être clair avec sa famille mais aussi avec les médecins. »
(source le progrés du nord 21/01/2011)