La vie difficile des personnes âgées en résidences privées
ANNIE GAGNON
28/01/2011 18h58
Une enquête de J.E. réalisée dans des résidences privées pour personnes âgées dresse un portrait sombre de la vie quotidienne de nos aînés.
Durant deux mois, une collaboratrice de l’émission, munie d’une caméra cachée, a visité des établissements privés à Montréal et en périphérie.
Premier triste constat: les résidents s’ennuient à mourir. En dehors des repas, la télévision est souvent leur seule distraction. Dans un milieu où il y a un manque criant de personnel, notre collaboratrice, qui a offert ses services comme bénévole, a été accueillie à bras ouverts par des propriétaires prêts à l’embaucher sur le champ, sans vérification de ses références.
Pire encore, elle est entrée dans la presque la totalité des établissements avec une facilité déconcertante. À sa première visite comme bénévole dans une résidence de Longueuil, elle a obtenu le code d’accès d’une porte sécurisée. Son nom et son âge ont été les seules informations demandées par le propriétaire pour faire du bénévolat.
Malgré son absence de formation, des préposés et même des propriétaires de résidences n’ont pas hésité à solliciter son aide dès son arrivée. En plus des travaux ménagers, on lui a aussi demandé d’effectuer des tâches normalement réservées aux préposés.
Dans un autre établissement, le directeur a offert 20$ à notre collaboratrice qu’il connaissait à peine, pour qu’elle conduise un résident à l’Hôpital St-Luc pour un examen médical.
«C’est inacceptable», a lancé d’emblée le directeur général de la Fédération des préposés aux bénéficiaires du Québec, Michel Lemelin. «Un bénévole n’est pas là pour donner des soins. Un bénévole est là pour participer à du temps de qualité auprès des patients», a déclaré M. Lemelin.
L’enquête révèle aussi que les employés manquent cruellement de temps en ce qui concerne l’hygiène personnelle. Dans certains établissements, les douches de cinq minutes sont la norme et pas plus d’une fois par semaine. Dans une résidence de Laval, la caméra a capté la toilette d’un résidant, qui s’est limité aux cheveux et aux aisselles.
Selon Michel Lemelin, cinq minutes sont nettement insuffisantes. «Ça soulève des questions. Quand je travaillais en CHSLD, une demi-heure c’était le minimum. Quand on donne une douche, ce n’est pas simplement laver la personne, ça comprend le shampoing, le nettoyage des ongles et des plaies.»
Dans une résidence de Montréal où vivent une vingtaine de patients, une préposée raconte qu’un homme est resté une fin de semaine entière dans sa chambre alors qu’il avait déféqué sur son plancher. Personne n’est venu nettoyer.
Un cuisinier a aussi décrit crûment le travail de préposé aux bénéficiaires. «Moi je vais te le dire: quand tu rentres, tu torches. Tu veux torcher pendant 8 heures, c’est toé là.»
Le Regroupement québécois des résidences pour ainés qui rassemble 600 propriétaires d’établissement ne s’inquiète pas outre mesure de la plupart des constats de l’enquête de J.E. La seule lacune qui mérite d’être corrigée selon le PDG du Regroupement, concerne la vérification des antécédents des employés et des bénévoles. «Je sais que certains de nos membres font affaire avec des agences qui vérifient les antécédents, d’autres sont en train de mettre en place des procédures», a expliqué Yves Desjardins. Il s’agit cependant d’une initiative des propriétaires et non pas du Regroupement.
Quelques faits saillants:
• En dehors des repas, la télévision devient la seule distraction possible, même pour les personnes éprouvant des problèmes de surdité ou de vue.
• La solitude est palpable. Dans les longs couloirs moroses, on entend parfois le son d’un téléviseur ou le cri d’un résident en détresse.
• Témoignage d’une résidente habitant dans une résidence privée de Montréal, où 25 personnes âgées autonomes et semi-autonomes vivent: «Des fois je m’ennuie, c’est plate, y’a personne dans le salon, y’a pu de monde comme avant. Dans ta chambre, c’est le fun, mais pas tout le temps. Une chance je dors beaucoup. En dormant beaucoup, ça passe le temps. Je pense que je vais mourir endormie, bonne idée hein ?»
• Il est 11 h 35 dans une résidence de Laval où vivent 29 aînés dont le tiers souffre d’Alzheimer. La préposée amène une vieille dame en fauteuil roulant. Mais plutôt que de la faire entrer dans la salle à dîner, elle la laisse sur le seuil de la porte et poursuit son chemin sans autre explication. La résidente a attendu 20 minutes dans le couloir, seule, avant de pouvoir aller manger.
• Une préposée travaillant dans cette même résidence constate : «Souvent les personnes âgées sont très seules, surtout quand arrive novembre, décembre, il y a beaucoup de up and down, les familles ne viennent pas à Noël.»
• Témoignage d’une préposée œuvrant dans un établissement privé de Longueuil qui héberge 43 résidents: «J’aime pas jaser parce que tu prends 10 minutes de retard juste sur la distribution de la médication.»
• Dans une autre résidence de Longueuil, notre caméra capte des gestes douteux dans la cuisine. La propriétaire ramasse de la salade puis se lèche les doigts. Avec la même main, elle en prend une autre poignée et la place sur une assiette voisine.
• À Montréal, une préposée raconte qu’un vieil homme est resté une fin de semaine entière dans sa chambre alors qu’il avait déféqué sur le plancher. Personne n’est venu nettoyer. «J’ai été obligée de tout vider, il avait caché ses selles dans le garde-robe. Lundi quand je suis retournée, c’était aussi pire que le vendredi. C’était pas drôle. Quand je pensais que j’avais fini d’en trouver, je recommençais… C’était dégoûtant.»
• Un cuisinier de la même résidence décrit crûment le travail de préposé aux bénéficiaires: «Moi je vais te le dire: quand tu rentres tu torches. Tu veux torcher huit heures? Pendant huit heures, c’est toé là.»
• Trois stagiaires observent une préposée aider un résidant qui se prépare au bain.
• Dans une résidence de Laval, la toilette d’un homme se limite au shampoing et au nettoyage des aisselles. L’opération a pris à peine cinq minutes.
• Un directeur d’un établissement de Montréal est prêt à donner 20$ à notre bénévole pour qu’elle conduise un patient à l’hôpital.
Il ne faut pas généraliser, car des bon soignant ou des maison de retraite ou il fait bon vivre existe, heureusement en grande majorité"